"ici c'est le paradis"
On parle beaucoup du rapprochement entre les deux Corées, de la paix entre ces pays, les médias nous rappellent régulièrement que c'est d'une importance capitale (sans nécessairement nous expliquer correctement le pourquoi du comment, mais eux même le savent il?...). Mais plus concrètement, ce sont des personnes qui sont touchées, ce sont des humains qui comme vous et moi vivent et meurent dans un cadre opaque. Nous n'avons que des bribes d'informations concernant la vie au Nord, et même si ce témoignage n'est pas le plus récent il est celui qui m'a le plus marqué. Bien loin des préoccupations des charts, des sorties de jeux vidéos, nous avons là le témoignage de Hyok Kang né à Unsong en Corée du Nord, recueilli par Philippe Grangereau. Publié aux éditions Michel Lafon il ne vous en coutera que 18 euros pour avoir un son de cloche différent des BFM et autres chaines d'informations qui passent à côté de la dimension humaine...
Bien que le cadre présenté ne soit pas flatteur pour la Corée du Nord, ce n'est pas une volonté de saper les efforts entre les deux pays ni de dire que le Nord c'est le mal, non c'est simplement l'envie de mieux comprendre, de savoir ce qu'il se passe dans ce pays qui ne laisse quasiment rien filtrer. C'est aussi l'occasion d'apprendre ce qu'il en est du quotidien de nos voisins au nord, du vécu du peuple, rapporté par un Nord Coréen, un enfant et sa famille qui décident de fuir un pays totalement dédié au culte du "Père de la Patrie". Ce bastion du communisme que nous ne connaissons pas. Philippe Grangereau, à l'aide d'interprètes, de la famille de Hyok mais aussi grâce à sa connaissance de l'Asie nous propose un livre émouvant. Il n'use pas de romance ou de procédés artificiels, il pose juste les bonnes questions et laisse Hyok nous raconter son passé, nous montrer à quel point du haut de ses 18 ans il est un homme mûr. C'est finalement un témoignage sans violence gratuite que nous avons entre les mains, juste le témoignage de l'enfer vécu, des drames traversés et surtout de la banalisation des évènements. Ce sont ces points qui rendent le livre bouleversant, si l'on fait abastraction de l'identité du témoin, le récit est dur, mais en rendant à César ce qui lui appartient, quand on se dit qu'un enfant chasse des rats, mange de la soupe d'écorce, constate les morts de ses camarades comme on constate que les arbres perdent leurs feuilles... Quand on comprend que "la propriété au peuple" sert le "parti" et que la condition de l'homme se résume à suivre les directives du parti, survivre et glorifier la mère patrie, là un sentiment naît en nous. Et tout au long de la lecture ce sentiment enfle, gonfle et se transforme, se confrontant entre la réalité telle que nous pouvons l'analyser avec notre regard Occidental et la réalité vécue par ce petit bonhomme qui semble tout à coup fort comme un titan.
Une image dure mais n'avons nous pas dans nos sociétés de conforts ce genre de comportements nous aussi? Nos sociétés ne se ressemblent elles que par l'absurdité de nos comportements? |
Notre égo d'enfant de la société de consommation se retrouve confronté à la propagande et l'imaginaire que le Parti s'évertue à faire rentrer dans l''esprit des Nords Coréens. notre société est dépeinte comme étant décadente, dangereuse, pleine de vices et de perversions. Une petite voix ne peut que constater nos dérapages et finalement on admet à contre coeur certains reproches. On adhère à certaines idées alors que nous n'avons été confrontés à cette idéologie que l'espace de 200 pages (environs) que cette idéologie nous est livrée par le prisme d'un jeune homme qui sait que sa vie en Corée du Sud représente "Le Paradis" à ses yeux. J'ai ressenti de la colère, de la tristesse et un sentiment d'impuissance. Tant le transfert de ces clichés m'a semblé facile et je me suis rendu compte de la force de caractère qu'il faut à des personnes comme Hyok Kang, pour fuir et se reconstruire.
Non la fuite n'est pas réservé uniquement aux personnes lâches, dans certains cas de figure, partir, fuir, c'est tirer un trait sur une vie, sur tout ce qui fait notre quotidien, nous terrifie et nous rassure à la fois, c'est avoir l'incertitude du lendemain et se confronter à nos peurs et se remettre perpétuellement en question.
On comprend que Hyok a des séquelles physiques, et l'on s'amuse de certaines de ses réflexions "mon rêve serait de devenir gros". Mais c'est à un autre échelon que l'on se rend compte du fossé qui existe entre les deux pays voisins. Comment faire comprendre à des Coréens vivant à Séoul que la famine, la privation et une partie des rumeurs sont réelles? Comment ce jeune homme de 18 ans pleins de sagesse et de bon sens peut comprendre les dogmes de ses nouveaux compatriotes? Ne nous y trompons pas, être nord coréen en Corée du Sud n'est pas un pass VIP. Comme nombre de personnes dans son cas, c'est un secret qu'il faut garder pour soi. Pourquoi? parce que la différence est source d'exclusion et que la liberté offerte par ce pays se paye chèrement. Imaginez vous à la place de ce garçon, pendant toute votre vie on vous a appris à ne pas penser à vous mais à être au service de la Patrie, et vous vous retrouvez dans un pays qui prône la Liberté, une forme d'individualisme qui va à l'encontre de ce à quoi on vous a préparé. Le témoignage gagne alors en douceur et c'est une saveur douce et amère qu'il nous laisse, tant on comprend la dualité avec laquelle notre héros doit vivre.
Les illustrations sont de Hyok et elles servent magnifiquement le récit, comme on le dit une belle image vaut mieux qu'un beau discours). Il m'est difficile de vous parler plus de Hoyk Kang, sans vous en dévoiler trop, sans vous influencer de façon trop importante sur votre lecture, mais j'espère que vous aurez envie de découvrir le plus important, le quotidien d'une personne qui pourrait être votre voisin, la personne qui vous pique votre place de parking, qui laisse aboyer son chien, mais qui à la place a été à l'école de la faim, en colonie de camp de travail et en voyage de survie...
©LP'C
©Michel Laffont
Dans l'exercice compliqué d'expliquer un conflit entre pays (surtout si les pays en question sont de culture différente), c'est souvent à hauteur humaine que le message passe le mieux. Cela ne répond pas forcément à des questions d'ordre géopolitique, militaire ou autre mais comme la douleur touche de près ou de loin et que les conditions de survie donnent des pistes de ce qui se passe en amont, ...
RépondreSupprimerCa sent le vécu et pas le pathos. Et donc en valoir le détour.